Wednesday, November 24, 2010

Porter un regard contemporain sur l'Afrique

Canada-Afrique 2010


Comment les Canadiens et leur gouvernement envisagent-ils l'Afrique au terme de la première décennie du XXième siècle? Que sont-ils intéressés à, et en mesure de faire ensemble avec les Africains et leurs grouvernements?

Les réponses à ces questions sont conditionnées par le passé, quelque 45 ans de relations et d'activités dans une perspective de développement économique et d'assistance publique.

Ce passé est un prisme qui colore, filtre et emprisonne la perception canadienne de l'Afrique. S'en dégager est une nécessité, un devoir au plan de l'intégrité de l'analyse et de la pertinence des prescriptions qui en déboucheront.

Sortir du prisme commence par une analyse des tendances lourdes, globles et locales, qui sous-tendent aujourd'hui la pensée et l'action des Canadiens et de leur administration publique.


Contexte global

Tout choix est arbitraire. Les considérations contextuelles suivantes, globales ou locales, sont retenues pour leur importance à la fois comme contraintes et opportunités. Tout en leur étant soumis, on peut se servir d’elles.

1.       Le pouvoir en transition : fin de l’hégémonie occidentale?
Après l’Europe, l’Amérique est maintenant en déclin. L’émergence de nouvelles puissances en la Chine et l’inde et de pays importants comme le Brésil et la Russie a relativisé le poids de l’occident. Le rééquilibrage est accéléré par l’action américaine, puissance économique en panne, hypothéquée d’obligations détenues par des pays-tiers, société guidée autant par la foi que la connaissance scientifique, force militaire égarée dans des conflits périphériques et ambigus. Si l’occident a perdu son leadership moral, nul ne le remplace. Sur une scène internationale encombrée, où les modèles sociaux abondent et divergent, les puissances régionales prennent de l’ascendant et les règles et usages universels du repli.

L’Afrique du Sud se positionne en leader de l’Afrique australe. D’autres pays devraient se manifester ailleurs sur le continent. Ces pays peuvent constituer des têtes de pont politiques et économiques pour le Canada en Afrique.

2.       La pénurie d’énergie : des innovations qui tardent à être adoptées
Il importe peu que le point ‘Peak-oil ‘ ait été atteint ou dépassé, la communauté internationale sait que sa dépendance en hydrocarbures n’est pas durable, même à court terme. Plutôt que d’intégrer des technologies alternatives et maintenant éprouvées, les pétrolières étendent l’exploration aux régions et aires inexploitées, dont le littoral proche ou lointain. Gaz et pétrole vont rester des ressources stratégiques et leur prix sur la longue durée s’inscrit à la hausse.

L’énergie est une clef des relations internationales à venir. Le pétrole et le gaz offshore représentent déjà un grand atout pour l’Afrique.
 
3.       Une planète qui se porte mal, un climat qui change pour le pire
L’environnement n’offre pas de prime à la coopération internationale, mais lui présente un ordre du jour chargé de contraintes et de remises en questions. L’objectif de sauvegarder la planète se heurte de front à la volonté de maintenir un haut niveau de vie et de protéger les traditionnelles formes de consommation. On ira sans doute jusqu’au bord du gouffre.

Le changement climatique devrait frapper de plein fouet l’Afrique Sub-Saharienne, aggravant un exode vers l’Union européenne et le Nord. Avec une politique d’immigration et de visa éclairée, le Canada peut façonner la nature et composition de sa diaspora africaine et élargir son réseau de contacts et connaissances sur l’ensemble du continent.

4.       L’inégalité de revenus croissante et la montée du corporatisme
L’inégalité des revenus continue de se détériorer et la grande entreprise continue de concentrer le capital. Alors que la paupérisation touche le bas tiers de la population américaine et canadienne, les grandes compagnies montent en puissance comme centres de décisions clefs, à la fois capables d’investir massivement, quoique sans nécessairement se préoccuper du développement local, et d’être des philanthropes puissants et innovants.

Muni de politiques et instruments appropriés, les gouvernements pourraient encourager les grandes firmes privées à s’engager plus positivement dans le développement durable en Afrique.

5.       L’obsession sécuritaire, la démocratie et la libre-circulation des personnes
Le 11 Septembre 2001 est devenu un traumatisme définissant pour la politique des États-Unis et, dans une moindre mesure, pour la société américaine. Fondamentalement ouverts sur le monde et personnellement généreux, les Américains ont été contraints à céder une part de leur liberté et droits de citoyens, à accepter que des actes criminels soient commis en leur nom, et à réduire le contact avec le reste du monde. Non seulement le Canada ressent directement l’impact de ces mesures sur son tourisme, commerce et le libre-transit des personnes avec son voisin du sud, il a également tendance à les faire siennes sous prétexte de conforter sa propre sécurité.

On doit espérer que les Canadiens, et les Américains, vont se lasser du carcan que leur imposent leurs gouvernements. L’étranger, ce grand large, est apte à fournir des modèles de sociétés moins inquiétées, moins entravées, plus authentiques. Rien ne s’oppose à ce que l’Afrique offre l’un de ces modèles.

Contexte canadien

1.       Un pays riche parmi tant d’autres
Le Canada a connu son apogée pendant la seconde guerre mondiale alors que le monde gravitait autour de l’Europe et qu’il était un des rares pays hors-région capables par son action d’influencer le sort des Alliés. Depuis, le Canada est rentré dans le rang au point où plus aucun indice ne le distingue du pays OCDE moyen. C’est un pays qui déçoit aussi peu souvent qu’il émerveille. Seuls les Canadiens ne semblent pas le savoir.

 En désabusant les Canadiens de leur ignorance, on peut les pousser à être plus actifs, et plus innovants. L’expérience des pays nordiques en Afrique peut fournir des exemples à suivre et ranimer la volonté d’entreprendre des réalisations qui comptent.

2.       Pays tranquille et sympathique se cherche leader et direction
Si rien n’a réduit leur gentillesse et ouverture, les Canadiens se cherchent depuis 1980. La synthèse des trois éléments primaires : indigène, francophone, anglophone demeure en suspend, alors que les règles pour l’intégration des populations immigrantes restent indéfinies. Évoluant constamment entre les deux pôles unité et diversité, le Canada attend qu’un leader ou un accident historique lui révèle ce qu’il est et tout ce qu’il peut accomplir. La notion de servir une grande collectivité d’affinité, centrale dans les années 40 et reprise avec succès par Pearson sous forme de service aux Nations unies et pour le maintien de la paix, demeure un trait fondamental du Canada même si, en l’absence de leadership politique, elle ne trouve pas expression.

Le binôme nouveau leader politique-nouvelle vision sur l’Afrique serait susceptible d’avoir un fort écho mobilisateur dans l’opinion publique canadienne.

3.       Pays qui serait vieillissant, ne serait-ce de son immigration
Le Canada échappe au vieillissement qui frappe l’Europe et les pays nantis en accueillant plus de 200,000 immigrants par an. Quoique continent le plus jeune de tous, l’Afrique ne contribue que peu au rajeunissement canadien. Le recensement de 2006 chiffre à 138,750 la population canadienne d’origine africaine (dont 37,785 Somaliens et 25,855 Africains du Sud).

En une Afrique qui n’arrive pas à intégrer ses jeunes dans le marché du travail et un Canada qui doit rester jeune existe une complémentarité latente, susceptible de rendre service aux deux côtés.

4.       Si pas les États-Unis comme Étoile du Berger, qui alors?
À défaut de sa propre dynamique, le Canada accepte volontiers l’orientation que lui impriment les États-Unis. Tant et aussi longtemps que cette superpuissance se situait au centre de la mouvance occidentale et constituait l’hégémon incontesté, ce guidage externe pouvait aller de soi. À mesure que l’Amérique dissipe crédit et influence, le Canada perd de ses propres visibilité et lustre sur la scène internationale, ce qui compromet la réalisation de ses objectifs et la sauvegarde de ses intérêts.

Le Canada peut regagner lustre et visibilité en s’affirmant actif et récoltant des succès au plan global. Dans la mesure où elle fournit  des occasions de succès au Canada, l’Afrique peut provoquer et profiter d’un regain d’intérêt et de dynamisme de sa part.

5.       Face à un monde complexe et en insécurité
Les Canadiens ne considèrent pas le monde extérieur comme rassurant, pacifique ou démocratique. Ni ouvert ou accueillant. Animé de cet esprit de méfiance, le gouvernement n’hésite pas à épaissir les frontières du pays et à limiter les contacts internationaux jugés non-essentiels.

Seul continent où le grand ensemble de la population parle soit l’anglais soit le français, l’Afrique peut s’entretenir directement avec le Canada et être immédiatement comprise. Comme la pénétration de la musique africaine au Canada en témoigne, lorsque la communication africaine est authentique et porteuse de contenu original, elle est appréciée par les Canadiens et peut les conduire à s’intéresser de plus près aux affaires et à la vie du continent.